Episode #1
C’est l’histoire d’un Ultra Trail alpin, et d’un retour vers moi. Envie de retrouver du temps : 35h de course en ma propre compagnie, et 3 ans de désir pour un 175K que l’on dit « beau, brutal, audacieux ». Croyez-moi ; je ne viens ni souffrir, ni transcender, ni prouver. L’histoire est engagée, mais paisible et observatrice.
L’ultra Tour Monte Rosa m’aimante, et me voici au départ ce 02/09/21, 11000+, 175K et 35h dehors, encore une histoire de chiffres…mais j’en suspends le rythme. 4h du matin, tout commence maintenant, et c’est à cet instant que j’enclenche pause. Privée.
Je m’en vais prolonger les mois écoulés. Je pars les observer, voir leur mutation au fil des heures, lorsque la 1ère aube viendra. Demain matin, où serai-je : K110, 120, 150 ? Dans 4h, la France des écoles fera sa rentrée. Depuis 4 mois, j’ai ralenti ma frénésie et m’entraine pour un Ultra. Le volume s’est épaissi, mes vitesses ralenties, et mon mental s’est travaillé. Semaine après semaine, méditation et visualisation ont solidifié mon inconnu.
Paysage intérieur, univers cimenté et élargi, pas à pas. Mon alimentation est revenue aux sources : voir dans le temps, voir le socle, le durable, la profondeur. La concentration grandissant, j’ai ré-épuré ma diététique vers son fondement cétogène. Habitué, mais dilettante, et la sérénité a elle aussi grandie : au-revoirs au sucré pour 2 mois finaux vers le 100% kéto. On se retrouvera bien, pâtisseries. Holyfat m’accompagne depuis près d’un an, et s’y mêle harmonieusement saveur, et durabilité. A J-4 semaines, je m’habitue à le consommer en séances longues/mi- longues. Incroyable, passionnant cheminement à voir le corps répondre, apprécier…et développer une zénitude non-illuminée. Durable : tel semble le mot. 4h, je pars me retrouver.
Episode #2
Les heures s’enchainent, et je revis les semaines écoulées. La « préparation » et ses pluies, froids ou bobos-petits ; pourtant oubliés. Certes, un genou en vrac s’anime depuis le K30 – première absolue dans mes années de coureur de base (plutôt que de fond). L’articulation croit de 5% tous les 20 km : précis, et inquiétant.
Mais est-ce le jeu de l’ultra, ma bonne Suzette ? A mon sens, non ; mais je prêche en terre hostile. Ultra courir pour hyper-transcendance doloriste, rien à faire, je n’y parviens pas. Ça va sans doute venir. Pour l’instant, le très présent fusionne le passé : je suis un col et ma sortie vélo de juin. J’épouse un pierrier, ou Orion sur le Taschhörn ; et mon trail de « prépa » juilletiste. Je pause, et regarde.
Oh, rien de long mais l’autorisation de mater. Vent léger, douce caillante alpine : poche latérale, macadamia citron, et un financier de Tea-Time à minuit. Ma 1ère pause british à 2800m, Holyfat sur la gourde, et l’azimut du K120. Il y fera encore nuit mais j’y prévois une barre – même estampille, cacao, sel et huile MCT.
Les jambes tournent étonnamment, après 21h de chemin. Il y a 3 semaines, j’entamais un dernier bloc de sessions à jeun uniquement. Plaisir coupable, je craquais parfois pour une bouchée d’amandes…et son cheveu d’agave – mais sur du <60 à 70% FC max. Je systématise Holyfat, désormais en action ainsi qu’en besoin plaisir. Retour au sacré de l’instant pur, il me faut repartir ; ça n’aura pris que 45’’.
La vallée de Saas-Fee pionce ferme, les meilleures heures s’ouvrent ; pas de douleur, ah si, genou. Depuis 21h, je n’ai pas subi une baisse d’énergie, et dieu sait si le soleil fut méchant de Zermatt à Zermatt (K37-K61), sur asphalte (K61-K85), ou pour remonter à Törbel (K98). La digestion ronronne, littéralement. Je dois être chanceux – je ne vois que ça. Mouvement lent mais mouvement durable, allure régulière et installée : étrange analyse de JE en mouvement. Ne pas s’arrêter en si bon chemin.
Episode #3
Et puis, tout se brise. L’abandon guette subitement : genou en alerte, plaisir en berne, souffrance du handicap. Empêché physiquement, bloqué dans l’envie et la tristesse qui s’invite. Je me savais fragile aux K100 du monde ultra, me voici victime de moi-même au K130. L’aliment plaisir, quel est-il alors ? Comment retrouver gout à la vie ? Dramaturgie ridicule du sportif ! « Nous avons choisi d’être ici. Non ? Alors courons heureux ! ».
Darcy Piceu, légende de l’ultra US, en sait quelque chose. Alors vite, trouver une saveur ou son placebo, en ouvrant son sac d’allégement : et surtout, surtout reprendre sur le champ sa routine. Se changer de pied en cap – slip propre, un autel brille à Ta Gloire. Se retrouver prêt à repartir, et dégoupiller encas ou barre. Car non, les nouilles déclenchent la fatwa. Humilité heureuse du pire « repas chaud » d’une vie entière. Depuis, se découvre une plaque : « ci-gisent les farfalles les plus immondes de Suisse. Paix à leur l’âme, tout partait d’une bonne intention ».
Et tout…se remit en marche. Ainsi eut pu s’achever l’histoire d’un Monte Rosa. Le jour s’est levé et malgré 12 encas et barres Holyfat, mon foie ne danse point de gigue. D’équerre total. A J-15, j’accroissais un peu ma part d’oméga 3, feu sur avocats et autres poissons gras, mais sans forcer l’écœurement. Café ou thé vert Bullet Proof en bandoulière, le souvenir de ces délices me suit encore aux pauses souvenirs : il est 14h. J’aperçois le raidillon ultime, et réalise que ces 5 dernières heures, je viens d’accélérer comme jamais. Miraculé ? eucharistie intérieure à coup d’une zénitude, que je ne suis jamais soupçonnée. J’arrive, bientôt.